Rose Levieuze, l’orpheline devenue comtesse

 

  • Rose Angéline LEVIEUZE, née à Boinville en 1874…

Fille d’un journalier, Etienne Jules Henri, alors âgé de 22 ans et d’Angéline Maria MAUPU, 19 ans, tous deux domiciliés à Boinville.

 

  • Les MAUPU : une famille « complexe » originaire de Boinville-au-Chemin

La mère de Rose, Angéline Maria MAUPU, est native de Prunay. Elle est née le 21 mai 1854 à Boinville. C’est la fille de Pierre Alphonse, journalier et d’Adélaïde Clémentine GREARD. Angéline a également un frère Adelmard né vers 1862 et une sœur Gabrielle née en 1869. Pour arrondir ses revenus, Alphonse est « père nourricier » et accueille des enfants de la ville en bas âge dans son logis, pour de courtes périodes. 

Le 11 mai 1875, Pierre Alphonse décède, tout juste âgé de 50 ans.  En 1881, Adélaïde MAUPU, désormais veuve fait la connaissance d’Hyppolite GAUTHIER, veuf lui aussi et presque voisin (ils habitent à quelques numéros l’un de l’autre à Boinville ! ).

Ils publient leurs bans les 6 et 16 novembre 1881, comme l’atteste le Registre de l’état civil de Prunay. Mais il n’y eut pas de mariage, au final. La famille « recomposée » s’installe tout de même chez M. GAUTHIER (recensement 1886). Le ménage se sépare 5 ans plus tard environ, au moment du décès d’Angéline MAUPU. Hyppolite GAUTHIER vit alors à Boinville chez sa fille Alphonsine au n° 40.

 

  • Etienne LEVIEUZE : le titi parisien

Etienne Jules Henri LEVIEUZE est né le 30 octobre 1851 à Paris. Fils de Joséphine Victorine, lingère demeurant 1 Rue du Coq et de « père non dénommé ». Il a été baptisé à l’église Saint-Eustache le 1er novembre, comme l’indique le registre de actes de baptêmes de cette paroisse.

En 1866, Etienne, 14 ans est placé comme orphelin chez Stanislas DROUILLEAUX, cultivateur au 25 Grande Rue à Moinville – la-Jeulin, selon le recensement de la population. En 1872, Etienne habite toujours chez Stanislas désormais marchand de fromages.

 

  • Un mariage houleux et destructeur

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Etienne LEVIEUZE et Angéline MAUPU se marient le 7 juillet 1873 à Prunay. La jeune femme est déjà enceinte d’un ou deux petits mois…

 

Rose Angéline, leur fille, naît donc le 8 mars 1874, En 1881, la famille habite au n° 6 à Boinville où monsieur est « entrepreneur de battage ». Rose est surnommée Henriette, prénom qu’elle gardera par la suite. En 1886, la famille habite à Prunaiville (en fait, Boinville, au début du hameau, côté Prunay) où Levieuze est cabaretier, au n° 12, non loin du café Delachaume. La famille s’agrandit cette année-là avec la naissance de Tiburce Alphonse, né 12 ans après sa sœur.

 

 

 

D’après les journaux, LEVIEUZE est reconnu pour être un escroc notoire, qui vit de vols et menus larcins : dès aout 1877, il est condamné à Chartres pour violences et coups à agents. Il écopera pour ce fait de 2 mois de prison et de 50 francs d’amende. Il a volé un couple dénommé RENAULT en 1888 et du grain chez M. CINTRAT, vol pour lequel il a été condamné.  Il a également organisé une fausse loterie, avec comme gros lot une machine à battre trépigneuse. La loterie qui devait avoir lieu au 14 juillet 1890 n’a jamais eu lieu mais LEVIEUZE a empoché l’argent des billets !

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  • Un vol qui tourne mal…Image1

Le soir du 31 décembre 1889, Madame CINTRAT, veuve CHEVALIER, domiciliée à Moinville-La-Jeulin est cambriolée, ce vol tourne mal et la propriétaire est mortellement blessée. Les soupçons se tournent vers LEVIEUZE

Le Journal de Chartres évoque ce crime 4 jours plus tard, dans son édition du 05 janvier 1890.

Cette affaire va être le feuilleton du début de l’année 1890 pour le Journal de Chartres, qui consacrera plusieurs articles à cette affaire et à ses multiples rebondissements…

Un article relate, en effet ce vol accompagné d’un assassinat, dans lequel serait impliqué le couple. Pour ne pas être accusée de complicité, l’épouse de LEVIEUZE fait une 1ere tentative de suicide en février 1890 puis se pend en avril 1890 …

LEVIEUZE est arrêté, jugé et condamné le 20 mai 1890 par la Cour d’Assises d’Eure-et-Loir à la peine de dix ans de travaux forcés et à vingt années d’interdiction de séjour pour « soustractions frauduleuses aggravantes ».  Pour le meurtre  de la veuve Chevalier, une ordonnance de non-lieu est rendue par Le Juge d’instruction de Chartres le 26 mars 1890.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • L’évasion de la prison de Chartres, l’arrestation et le bagne

Image2L’histoire pourrait s’arrêter là, c’est sans compter sans la roublardise du coupable qui s’évade de la prison de Chartres, le 11 juin 1890, avec deux autres prisonniers : FAYOT et BRULARD. Une évasion rocambolesque racontée en détail dans le Journal de Chartres sur plusieurs colonnes. 

Ses deux camarades d’évasion seront arrêtés le 14 juin près de la Ferté-Bernard, après avoir commis un vol d’argent dans une habitation à Cherré. LEVIEUZE se rend à la police, 3 jours plus tard à Charpont, près de Dreux, affamé et épuisé par sa cavale. 

Il est envoyé au bagne en Nouvelle-Calédonie. Il embarque le 28 mars 1891 sur « La Calédonie ».  Il décède à Thio, au bagne, le 20 octobre 1891.

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  • Rose à Paris 

Rose est « montée » à Paris après 1886. Elle habite au 49-50 rue de la Faisanderie dans le XVIème arrondissement, là où habite nombre de princes et princesses émigrés russes dont le Comte

 

  • …le comte Sergueï Alexandrovitch Stroganoff

Image4Le comte Sergueï Alexandrovitch STROGANOFF est né le 9 janvier 1852 à Saint-Pétersbourg. Il fut le dernier représentant de la famille STROGANOFF

La famille STROGANOFF doit sa richesse à l’exploitation des salines de Solvytchegosk puis à la conquête de la Sibérie dès le XVIème siècle. Ils mirent tout de suite leurs disponibilités financières au service des tsars. Les STROGANOFF firent construire de nombreuses églises et palais.

Le 18 avril 1882, à Saint-Pétersbourg, il épouse, par amour, la princesse Ievgenia Dmitrievna Vasiltchikova (1862-1884), sa cousine au second degré.

En 1884, son épouse bien-aimée décède subitement du typhus, ce qui jetant le comte dans un profond chagrin. 

Et Rose rencontra Sergueï…

On estime la date de la rencontre entre Rose et le comte STROGANOFF vers 1900 mais elle ne devint son épouse que 18 ans plus tard. D’après les journaux de 1930, Rose LEVIEUZE était d’une grande beauté.

Dans le Journal Paris-Soir daté du 29/07/1937, il est écrit : que « le Comte STROGANOFF fit vers 1900 la connaissance d’une jeune fille d’une étonnante beauté …Le roman d’amour de Rose-Angélique LEWIEUZE commençait ».

Nous n’avons aucune trace des années parisiennes de Rose Comment a-t-elle rencontré le comte, elle qui venait d’une sphère totalement différente ? Était-elle sa simple domestique à l’hôtel de la Faisanderie ?

  • …et se maria en 1918 avec lui 

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C’est à Eze, sur la Riviera entre Nice et Monaco que Rose épouse son comte, en présence d’amis russes. Le couple a acquis en 1914 le Cap Estel, une villa sur les hauteurs d’Eze devenue aujourd’hui un splendide hôtel avec Spa et restaurant étoilé au Michelin. 

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La comtesse et son époux sont également propriétaire du château de Saint-Aventin à Verrières (Aube).

Le frère de Rose, Tiburce est également propriétaire du Château de Rosières, près de Troyes dans l’Aube, dans les années 1910 à 1927. Il est pépiniériste et publie des catalogues de roses. Un hommage à sa sœur…Rose ? à qui finalement il doit certainement l’acquisition de ce château ???

 

  • Un héritage controversé

Le Comte et la Comtesse n’eurent pas d’enfant.

Serguei décède le 1er mai 1923 à Eze. Il est inhumé au cimetière russe de Caucade à Nice. Son épouse hérite de toute sa fortune selon le testament qu’il fit en 1919, un an après son mariage avec Rose. 

Photo de LEVIEUZE en 1937Mais entre 1923 et 1937 a lieu un procès fleuve entre un prétendu descendant des Stroganoff et la Comtesse. En jeu : plusieurs millions de francs. Cette fortune correspond aux biens immobiliers et œuvres d’art acquis par la famille Stroganoff à l’étranger tels qu’un palais et une galerie d’art à Rome, des hôtels particuliers en France, de l’argent placé sur des comptes aux Etats-Unis (3 millions de dollars), des manuscrits historiques….Les biens mobiliers et immobiliers situés en Russie, amassés par les comtes Stroganoff au cours des siècles derniers ont été nationalisés lors de la Révolution Russe en 1917

Avec les seuls biens de la famille Stroganoff situés hors de Russie, la comtesse est tout de même à la tête d’une sacrée fortune qui suscite bien des convoitises. Même si dès 1924, la veuve a vendu plusieurs œuvres d’art provenant de l’Hôtel particulier de la Faisanderie telles que des peintures flamandes du XIXème siècle.

C’est ainsi qu’un prétendu descendant des Stroganoff, Nicolas, fait son apparition en juin 1923, peu de temps après le décès du comte pour réclamer son héritage. Il exhibe un arbre généalogique qui semble établir qu’il descend bien des Stroganoff et qu’il est le seul héritier mâle de la famille vivant, donc, selon la loi russe, l’unique héritier. Selon Paris-Soir, il serait même venu voir la comtesse à Eze, se présentant comme un neveu du comte, dont elle n’avait apparemment jamais entendu parler. Généreuse, elle l’héberge un temps, assiste même à son mariage avec la fille du général Niloff en 1931 et lui donne de l’argent, jusqu’à ce que ses besoins financiers se fassent plus pressants…La comtesse finit par avoir des doutes sur la véritable identité du jeune homme.  En mars 1935 débute le procès entre le « faux » neveu et la comtesse. Un procès rocambolesque puisque Nicolas Stroganoff a été arrêté, à Nice, pour infraction à une expulsion, en janvier 1935. Le procès est gagné par la veuve qui réussit à prouver, par la voix de son avocat, que Nicolas Stroganoff n’est qu’un imposteur, « un maitre-chanteur ». Le faux héritier décède en 1937, seul, pauvre et harcelé par ses créanciers.

 

  • La mort de Rose

Rose décède à son tour, le 11 février 1960 à Monaco. Elle est inhumée au côté de son époux à Nice, au cimetière russe de Caucade.

La branche Stroganoff s’éteint sans descendance mais pas les Levieuze…

Tiburce LEVIEUZE et Claire SOUCARET, frère et belle-sœur de Rose auront 4 enfants :

  • Henriette Claire née le 05/09/1906 à Paris, 71 rue de Kléber. Henriette épouse le 01/06/1926 à Toulouse, François Joseph GAILLARD. Elle décède à Toulouse le 20/08/1995.
  • Jean Pierre Tiburce né le 11/06/1913 à Rosières-près-Troyes. Décédé le 21/02/1978 à Toulouse
  • Serge Henri Jean né le 14/05/1916 à Rosières-près-Troyes. Décédé le 20/03/2014 à Montauban
  • Violette née le 12/02/1924 à Nice. Décédée le 29/3/2014 à Toulouse

 

Il semble que Rose ait dilapidé une grande parie de la fortune du Comte sur la Riviera …

Carine Vanneau, novembre 2022